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Bâtiment du Reichstag (édifié par Paul Wallot en 1884-94). Vue d'ensemble sur la Place royale et la Colonne de la Victoire. Photographie de 1894 © picture-alliance / akg-images
L’Empire allemand porte la double marque de la modernité et du traditionalisme. Depuis son instauration, la démocratie et la monarchie se sont engagées dans une relation conflictuelle qui, vue avec du recul, a fréquemment soulevé la question des possibles évolutions de la Constitution du 16 avril 1871. Pouvait-on concevoir, postérieurement à 1871, une transition vers une monarchie parlementaire dans laquelle le Kaiser n’aurait plus exercé qu’une faible influence sur les affaires de l’État ? A moins qu’une telle évolution ne s’inscrivît dans d’étroites limites ?
Aux termes de la Constitution, le chancelier du Reich est nommé par le Kaiser et ne dépend pas de la confiance d’une majorité parlementaire au Reichstag qui lui fait face. Aucune loi ne peut être adoptée sans l’approbation du Reichstag, lequel doit en outre approuver le budget de l’État. Après 1871, il siégera tout d’abord dans l’ancienne manufacture de porcelaine de Prusse, sise Leipziger Strasse, et ne s’installera dans le bâtiment du Reichstag que le 6 décembre 1894.
Les 382 députés composant le Reichstag, puis 397 à partir de 1874, sont élus pour 3 ans, puis pour 5 ans depuis 1888, sur le principe du scrutin majoritaire, universel, égal, direct et secret. Tous les Allemands de sexe masculin âgés de 25 ans accomplis ont le droit de vote. À en juger sur les critères de l’époque, ce régime électoral est moderne et avancé, quand bien même divers partis en subiront les désavantages croissants. Après 1871, ce mode d’élection du Reichstag contribuera largement à une politisation généralisée de la population. Cela se traduira en particulier par une participation électorale toujours plus élevée, passant de 50,7 % en 1871 à 84,9 % en 1912.
La politisation des Allemands va amorcer une tendance des partis à se transformer en organisations modernes. De même, le mode de travail des hommes politiques prend de nouveaux traits. Bien que le paiement d’indemnités parlementaires reste interdit jusqu’en 1906, nombreux seront bientôt au Reichstag les professionnels de la politique à se spécialiser dans un domaine politique particulier de leur travail parlementaire. Le Reichstag se mue en Parlement de travail qui, en adoptant une vaste législation, contribuera dans une mesure décisive à l’émergence d’un espace juridique et économique national, et qui jettera les bases de l’État social en instaurant les assurances maladie, accident, vieillesse et invalidité.
Les avis sont profondément divisés sur la question de savoir si, à mesure que cette vaste législation est adoptée, le Kaiser et le gouvernement du Reich ne seraient pas entrés dans une dépendance telle par rapport au Reichstag qu’il faudrait parler d’une parlementarisation progressive de l’Empire allemand dans la pratique. Les historiens ne sont d’accord que sur un point, à savoir que le Reichstag d’après 1871 a considérablement accru son pouvoir et son influence face au gouvernement du Reich et aux divers États représentés dans l’enceinte du Reichsrat. Une majorité d’entre eux estiment toutefois que les partis ont pour seul objectif d’exercer un contrôle efficace du gouvernement, mais que l’accession au pouvoir n’est pas leur préoccupation et qu’en tout état de cause il manque à l’Empire allemand une condition importante d’un régime parlementaire : des partis disposés à dépasser leurs conflits d'intérêt, aussi fondamentaux soient-ils, et à se rejoindre au sein de coalitions pérennes.
L’Empire allemand ne connaît pas de partis de masse adossés à un vaste électorat mêlant appartenances sociales et religieuses. Il se caractérise par un système de cinq partis éclatés en leurs diverses composantes, plus ou moins fortement liés à des milieux nettement délimités les uns par rapport aux autres et pour les intérêts respectifs desquels ils militent. Plus précisément, ce système comprend les Conservateurs allemands et le Parti allemand du Reich, le Centre représentatif du catholicisme politique, le Parti national-libéral sur l’aile droite du libéralisme et, sur l’aile gauche, diverses autres formations - notamment le Parti allemand du Progrès, le Parti libéral allemand, le Parti populaire libéral et le Parti populaire du Progrès -, ainsi que le Parti socialiste ouvrier (rebaptisé Parti social-démocrate d’Allemagne en 1890). Dans les années 1871-1918, ces partis forment certes plusieurs blocs, mais pas de « coalitions gouvernementales » stables sur le long terme. Ils sont trop déchirés pour pouvoir étendre véritablement les prérogatives du Parlement, voire même pour pousser à une parlementarisation du système de gouvernement. À l’exception du SPD qui constitue depuis 1912 le plus important groupe parlementaire au Reichstag, aucun parti d’ailleurs n’escompte profiter durablement d’une modification constitutionnelle, et la relation au parlementarisme est ambiguë jusque dans les rangs mêmes des sociaux-démocrates.
En septembre 1918, vers la fin de la Première Guerre mondiale, l’Empire allemand est menacé d’effondrement économique et militaire, et c’est seulement alors que les partis majoritaires aspirent à gouverner le pays. La direction militaire, Paul von Hindenburg et Erich Ludendorff en tête, refuse d’assumer la responsabilité de la défaite, bien qu’ayant de plus en plus lourdement pesé sur la politique de l’Empire allemand pendant la guerre, et ce de manière presque dictatoriale sur la fin. C’est pourquoi elle va volontiers au devant des partis. La voie de la parlementarisation est ouverte par les initiatives des partis politiques et de la direction militaire, sans oublier les pressions exercées par le président américain Woodrow Wilson qui ne veut sceller la paix qu’avec un gouvernement démocratique. Le Parlement modifie la Constitution impériale à une large majorité et, le 28 octobre 1918, l’Empire allemand est converti en monarchie parlementaire. Le 9 novembre 1918, le social-démocrate Philipp Scheidemann proclame la République depuis une fenêtre du bâtiment du Reichstag et parachève le changement constitutionnel.