Monsieur le Président de la République,
Madame,
Monsieur le Président fédéral,
Madame,
Monsieur le Chancelier fédéral,
très chers hôtes français,
chers collègues de l'Assemblée nationale et du
Bundestag allemand,
Mesdames et Messieurs,
Au nom de tous les membres du Bundestag allemand, j'ai l'honneur, Monsieur le Président de la République, de vous saluer très cordialement en ce bâtiment du Reichstag. C'est pour le Bundestag allemand un très grand honneur qu'en votre personne le deuxième président d'État français prenne aujourd'hui, après le président Mitterand en 1983, la parole devant les membres du Bundestag allemand.
Nous avons tous présents à la mémoire les aspects tragiques de l'histoire de nos deux peuples, les rivalités et hostilités qui ont longtemps marqué nos relations et ont débouché au 19ème siècle et même au 20ème siècle encore sur des guerres sanglantes. Nous avons pleinement conscience, nous les Allemands, de la responsabilité qui nous incombe à cet égard.
Ce n'est qu'à partir de la seconde moitié du 20ème siècle que l'histoire des relations franco-allemandes était marquée par un développement favorable. En considération de ce passé, il ne va pas de soi qu'aujourd'hui, en l'an 2000, nous puissions constater que nous avons connu durant les cinq dernières décennies une période de relations stables et amicales. Et je m'exprime certainement au nom de tous ici présents en cette salle si je forme le voeu que notre amitié et notre partenariat étroit soient durables. C'est dans cet esprit, Monsieur le Président, que nous vous avons invité à prendre la parole en cette enceinte. La valeur symbolique de ce geste ne vous échappera pas, car cette Haute Assemblée ne fait usage que rarement de la possibilité d'entendre un chef d'État étranger en assemblée plénière.
Que vous soyez le premier chef d'État qui prenne la parole au Reichstag, au siège réintégré par le parlement allemand, me semble justifié pour deux raisons. Vous avez opté pour la réunification de l'Allemagne et avez défendu notre cause comme une chose naturelle. De tout coeur nous vous en remercions.
Cependant, pour nous, votre discours de ce jour revêt aussi une signification particulière en considération d'un fait à la fois incontestable et de toute première importance. Ensemble, la France et l'Allemagne sont le moteur de l'unification européenne. Cette image est profondément ancrée dans l'opinion aussi bien des Allemands que des Français et elle est fort juste.
Certes nos deux Etats ne peuvent pas seuls revendiquer le succès de l'Union européenne. N'oublions pas pourtant que pour Charles de Gaulle et Konrad Adenauer la coopération franco-allemande et l'amitié franco-allemande devaient dès l'abord servir l'unification européenne, aspiration qu'ils n'ont pas manqué d'énoncer dans la Déclaration Commune du traité de l'Elysée de 1963. Tous leurs successeurs l'ont confirmé, non seulement par leurs paroles mais aussi par leur action énergique et efficace.
Il y a dix ans, les peuples de l'Europe orientale et la population de la RDA ont mis fin à la division de l'Europe en deux blocs opposés. En même temps étaient jetés les dés de l'union monétaire européenne. Le premier gouvernement de la RDA issu d'élections démocratiques proclamait dans son programme que l'unité allemande devait promouvoir l'unification européenne.
Dix ans plus tard, nous voici confrontés au défi d'un remarquable élargissement de l'Union européenne, et nous sommes tous conscients que cet élargissement ne peut être couronné de succès qu'à condition que des réformes institutionnelles le précèdent et que tous les pays candidats remplissent effectivement les critères leur ouvrant la voie à l'adhésion à l'Union européenne.
L'Europe se trouve présentement au centre de débats publics et elle est appelée à prendre des décisions difficiles. C'est pourquoi nous formons le voeu que durant sa présidence du Conseil, la France s'inspire de la sagesse et du doigté propres à la "grande nation". Mais nous savons aussi que nous sommes appelés à nouveau à apporter la preuve que l'image de l'Allemagne et de la France en tant que moteur de l'unification européenne a gardé toute sa réalité. Le Bundestag allemand ne manquera pas d'y apporter sa contribution.
L'amitié franco-allemande n'est donc pas seulement au moment présent un fait et une réalité dont il y a lieu de se réjouir, elle constitue aussi une chance pour une Europe unifiée en voie d'élargissement.
L'Europe jouit de la compétence économique, scientifique et technologique nécessaire pour se placer dans le peloton de tête de la concurrence mondiale. Par ailleurs, depuis la Révolution française, l'Europe peut se réclamer d'une tradition libérale sur laquelle nombre de peuples ont choisi de prendre modèle. C'est là un patrimoine que nous pouvons faire fructifier à condition d'unir plus étroitement nos forces au profit de la liberté, de la prospérité et de la sécurité non seulement des peuples européens.
Cependant, nous ne devons jamais perdre de vue que les Européennes et Européens, et parmi eux un grand nombre de Français et d'Allemands, demandent à être sans cesse convaincus des avantages de l'unification européenne et de l'élargissement de l'Union.
Et peut-être les jeunes démocraties de l'Europe orientale ont-elles un besoin plus impérieux encore que la démocratie française riche d'une longue tradition de savoir comment les institutions de l'Union européenne se présenteront à la critique et au contrôle des citoyens, ce qu'il en est de la participation des citoyennes et citoyens à l'organisation des affaires publiques.
Les réponses pouvant être apportées à ces questions ne concernent pas seulement le Parlement européen, dont le travail et les compétences sont, bien entendu, de tout premier ordre. Elles s'inscrivent aussi dans une notion et un objectif ébauchés dans les traités de Maastricht et d'Amsterdam, à savoir le principe de subsidiarité.
L'unification européenne ne privera pas les citoyens de leurs possibilités d'exercer leur influence; elle pourrait cependant transposer ces possibilités à un niveau très élevé et très abstrait. C'est ce que le principe de subsidiarité doit empêcher. Dans un État libéral démocratique, la question judicieuse que l'on se pose est de savoir ce que la société civile est en mesure de régler elle-même et quelles réglementations il convient de réserver aux pouvoirs publics. Jamais ce débat ne sera clos, sans cesse il resurgira.
Au niveau de l'Union ceci signifie qu'il faudra tour à tour se demander quels problèmes doivent absolument et effectivement être réglés au niveau européen et quels problèmes peuvent trouver une solution beaucoup plus efficace, plus proche des citoyens, plus démocratique et plus transparente au niveau de l'État national ou des collectivités propres aux Etats-nations européens, collectivités dont les Etats-nations - telle la République fédérale d'Allemagne - sont même parfois issus.
La question déterminante qu'il convient de se poser en premier lieu est de savoir quelles sont les solutions que nous pouvons nous-mêmes mettre en oeuvre ou si nous voulons nous contenter de déléguer une politique de plus à Bruxelles.
Quant à l'élaboration d'une constitution européenne qui, à la fois, protège les libertés individuelles et politiques des citoyens et s'oriente selon le principe de subsidiarité, il faut que tous y apportent leur concours, que leur tradition soit celle de l'État-nation central ou celle de l'État fédérale.
L'Europe a donc besoin d'un débat plus approfondi sur les modalités pratiques de la subsidiarité, son organisation, ses fondements. Ce débat ne devra pas être celui de la seule classe politique, il doit, bien au contraire, impliquer l'opinion publique dans son ensemble. Et il doit viser en dernière analyse la création d'une opinion publique européenne commune.
Avec le début d'un dialogue très intense les ministres des Affaires étrangères allemand et français ont relancé cette discussion qui nous occupera longtemps encore. Ainsi se trouve réaffirmée, une fois de plus, la volonté de nos deux pays de rester à l'avenir le moteur commun de l'unification européenne.
C'est l'esprit même de ce débat ouvert et enrichissant, débat propre à rallier et encourager d'autres pays, qui détermine nos relations et notre rôle dans cette Europe. Et c'est dans cet esprit, Monsieur le Président, que nous nous réjouissons de vous accueillir ici et d'entendre votre discours.